Décision CE n°322375

Mots clés :
Ps-c ; qualification du conflit armé ; bandes armées et conflit armé

Analyse de la décision

Faits et procédure :

1) Un requérant de nationalité haïtienne, entré en France en 2007, s’est vu rejeter sa demande d’admission au statut de réfugié par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides par une décision en date du 28 septembre 2007.

2) Il saisit la Cour nationale du droit d’asile et demande l’annulation de la décision de l’OFPRA. La CNDA lui accorde alors la protection subsidiaire par une décision en date du 9 septembre 2008.

3) L’Ofpra demande l’annulation de la décision de la CNDA pour cause d’erreur de droit. Le CE se prononce alors sur ce recours.

 

Question soulevée :

Une situation de violences liée à des bandes armées relève-t-elle du champ d’application de l’article L. 712-1, c) du Ceseda ?

 

Solution :

Le Conseil d’Etat considère que la CNDA a commis une erreur de droit en accordant la protection subsidiaire relative au conflit armé en se fondant sur l’existence de menaces graves, directes et individuelles provenant de bandes armées sans rechercher si ces menaces résultaient bien d’une situation de conflit armé ou international.

Pour ce motif, il juge que l’Ofpra est bien fondé à demander l’annulation de la décision attaquée.

 

Portée :

 

L'apport de la décision d'espèce est de rappeler au juge de la CNDA son obligation, lorsqu’il envisage d'accorder la PS-c à un requérant, de qualifier la situation dans le pays de conflit armé interne ou international.

 

Le Conseil d'Etat ne se prononce donc pas directement sur la possibilité de qualifier de conflit armé, une situation qui opposerait des bandes armées entre elles ou contre les forces étatiques. La Haute juridiction ne clôt donc pas les débats sur ce point.

 

Certes en droit international, les notions de « bande armé » et « groupe armé » ne se recoupent pas. S'agissant des groupes armés, la jurisprudence internationale retient deux critères, l'intensité de la violence et l'organisation des parties[1], cette dernière s'entendant comme « une certaine structure de commandement et la capacité de mener des opérations militaires durables »[2].

La doctrine a parfois des points de vue différents, notamment C. Bruderlein qui retient trois critères cumulatifs pour en identifier un, à savoir une structure de commandement de base ; le recours à la violence à des fins politiques ; l'indépendance par rapport au contrôle de l'Etat[3]. La jurisprudence réfute cette analyse[4].

 

La notion de « bande armée » apparait quant à elle plus floue puisque non-définie clairement en droit international humanitaire. Toutefois, selon la définition retenue pour les groupes armés, notamment sur l'exigence du but politique ou la définition même de ce qu'est un but politique (la recherche du contrôle et de l'administration exclusifs d'un territoire plus ou moins étendu ne présente-t-elle pas un aspect politique, même si elle est initialement motivée par un objectif crapuleux), certaines bandes armées, organisées et puissantes (comme certains gangs au Honduras, au Mexique) pourraient s'apparenter à des groupes armés au sens du droit international humanitaire.

 

Autrement dit, en l’espèce le CE ne vérifie même pas, à la place de la Cour si la situation d'espèce pouvait bien être un conflit armé, il sanctionne la Cour pour ne pas l'avoir vérifié et lui renvoi le dossier pour qu'elle répare cette erreur.

 

La possible assimilation de certaines bandes armées à des groupes armés semble d'autant plus envisageable que la CJUE, en 2014, dans son arrêt Diakité[5] a estimé que la notion de conflit armé en droit d’asile répondait à une définition autonome de celle donnée par le droit international humanitaire. Elle considère en effet que le droit européen a souhaité envisager l'octroi de la PS-c « non seulement en cas de conflits armés internationaux et de conflits armés ne présentant pas un caractère international tels que définis par le droit international humanitaire, mais également en cas de conflits armés internes, à condition que ces conflits soient caractérisés par le recours à une violence aveugle ». Dès lors, le « conflit interne » en droit d'asile ne répondrait pas à la même définition qu'en droit international humanitaire et potentiellement, la définition du groupe armé pourrait elle aussi être autonome.

 

D'ailleurs, sur ce point, la CJUE précise qu'il peut y avoir conflit armé interne « sans que l’intensité des affrontements armés, le niveau d’organisation des forces armées en présence ou la durée du conflit fasse l’objet d’une appréciation distincte de celle du degré de violence régnant sur le territoire concerné ». Elle affirme donc qu'en droit d’asile, c’est davantage le niveau de violence qui prime pour qualifier le conflit armé, or certaines bandes armées, sans but politique, sont responsables de violence d'intensité exceptionnelle qu'à l'inverse, certains groupes armés n'atteignent pas.

 

[1]TPIY, Affaire Tadic, Jugement du 7 mai 1997

[2]ICTY, The Prosecutor v. Fatmir Limaj, Judgment, IT-03-66-T, 30 November 2005, para. 94-134

[3]C. Bruderlein, "The Role of Non-state Actors in Building Human Security: The case of Armed Groups in Intra-state Wars", Centre for Humanitarian Dialogue, Genève, mai 2000.

[4]S. Vité, Typologie des conflits armés en droit international humanitaire : concepts juridiques et réalités, CICR

[5]CJUE, 30 janvier 2014, aff. C 285-12, Diakité

Statut de la décision :