Décision CNDA n°497089

Mots clés :
Motifs de reconnaissance de la qualité de réfugiée ; PS-c ; climat de violence généralisée résultant de la situation de conflit armé interne en Irak ; menaces graves, directes et individuelles.

Analyse de la décision

Faits et procédure :

 

A l’appui de sa demande de protection, un ressortissant irakien soutient qu’il craint d’être exposée à des persécutions du fait de ses qualités de fonctionnaire de l’ancien régime et de membre du parti Baas. Mais aussi qu’il craint d’être exposée à une atteinte grave en raison de la situation de violence généralisée prévalant dans ce pays.

L’Ofpra lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire mais lui a refusé la qualité de réfugié.

 

Il forme un recours auprès de la Commission des recours des réfugiés en vue d’obtenir le statut de réfugié.

 

Question(s) juridique(s) soulevée(s) :

 

A quelle protection sont éligibles les fonctionnaires d’un ancien régime et d’un parti politique contesté dans une zone de violence généralisée ?

 

Solution :

 

Tout d’abord la CRR décide que le requérant n’est pas fondé à se prévaloir de la qualité de réfugié car les craintes de persécution alléguées par celui-ci ne peuvent être tenues pour fondées d’après les éléments donnés.

 

Toutefois, la CRR précise que le bien-fondé de la demande de protection du requérant doit être apprécié au regard du contexte prévalant à l’heure actuelle en Irak ; que celui-ci se caractérise par un climat de violence généralisée, se traduisant notamment par la perpétration d’attentats, d’exactions et de menaces visant des groupes particuliers ; que cet état résulte du conflit entre les forces de sécurité irakiennes, les forces de la Coalition et des groupes armés, menant sur certaines parties du territoire des opérations militaires continues et concertées.

 

Ensuite, la CRR apprécie le critère d’individualisation des craintes du requérant et juge qu’elles « sont constitutives de menaces graves, directes et individuelles, en tant qu’elles sont liées à ses qualités de fonctionnaire de l’ancien régime et de membre du parti Baas ; qu’elles trouvent leur origine dans le climat de violence généralisée résultant de la situation de conflit armé interne qui prévaut aujourd’hui en Irak ».

 

Dès lors elle annule la décision de l’Ofpra et accorde le bénéfice de la protection subsidiaire en application des dispositions de l’article L712-1 c).

 

 

Portée :

 

Concernant la détermination du niveau de violence :

 

La Commission justifie amplement la violence généralisée en l’espèce. En effet, elle juge que la situation prévalant en Irak se caractérisait par une violence généralisée résultant du conflit entre les forces de sécurité irakiennes, les forces de la Coalition et des groupes armés, menant sur certaines parties du territoire des opérations militaires continues et concertées.

Mais que la violence généralisée se traduit aussi par la perpétration d’attentats, d’exactions et de menaces visant des groupes particuliers. Il y aurait ainsi des groupes de personnes particulièrement exposés à des menaces graves et susceptibles de se voir accorder, à ce titre, le bénéfice de la protection subsidiaire.

 

Toutefois, malgré ce travail de qualification, le juge n'opère pas d’évaluation du degré de la violence généralisée, qu’elle soit basse ou haute, celle-ci n'ayant été mise en place qu'en 2009, par un arrêt de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE, 17 févr. 2009, Aff. C-465/07, Elgafaji) pour déterminer le degré nécessaire d'individualisation des craintes du demandeur issu d'une zone de conflit.

 

Concernant le critère d’individualisation des craintes :

 

Si le critère de l’individualisation des craintes de persécution est clairement mis en avant par la Convention de Genève pour la reconnaissance du statut de réfugié, la question est plus délicate s'agissant de la protection subsidiaire relative aux conflits armés.

 

La jurisprudence de l’asile a longtemps cherché à individualiser les craintes liées à un conflit armé sans évaluer le niveau de violence. Elle avait en effet une lecture littérale de l’article L712-1 c) du CESEDA qui disposait jusqu'en 2015 que le bénéfice de la protection subsidiaire pouvait être accordée à un civil courant un risque réel de subir : « s''agissant d'un civil, une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence généralisée résultant d'une situation de conflit armé interne ou international »[1].

 

C’est le cas de la décision en l’espèce : la CRR recherche l’individualisation de la crainte et juge que les risques auxquels le requérant est exposé constituent des « menaces graves, directes et individuelles, en tant qu’elles sont liées à ses qualités de fonctionnaire de l’ancien régime et de membre du parti Baas ».

 

Toutefois, contrairement aux décisions plus actuelles, la Cour ne recherche pas en l’espèce le niveau de violence généralisée régnant dans la région d’origine du requérant et se contente seulement de rappeler qu’il y a en Irak un « climat de violence généralisée résultant de la situation de conflit armé interne ».

 

Cette absence d’automatisme de la recherche du niveau de violence s’explique, à date de la décision, par le fait que cette exigence n'a été fixée qu’ultérieurement par un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne en 2009 (CJCE, 17 févr. 2009, Aff. C-465/07, Elgafaji). Dans ce dernier, la CJUE considère que « le terme « individuelles » doit être compris comme couvrant des atteintes dirigées contre des civils sans considération de leur identité, lorsque le degré de violence aveugle caractérisant le conflit armé en cours […] atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir les menaces graves visées par l’article 15, sous c), de la directive » Le Conseil d'Etat (CE, 3 juillet 2009, Baskarathas) et la CNDA ont ainsi par la suite suivi ce raisonnement. Depuis, est donc posé le principe selon lequel l’individualisation des craintes est proportionnelle au niveau de violence.

 

Ainsi, dans une situation similaire, le niveau de violence généralisé serait désormais évalué par le juge pour savoir s'il est ou non nécessaire de rechercher l'individualisation des craintes de la requérante.

 

Les éléments retenus pour l'individualisation dans le cas d'espèce sont liés à l'appartenance politique du requérant. Une situation surprenante puisqu'il s'agit d'un des motifs de la convention de Genève permettant l'octroi du statut de réfugié. D'ailleurs, dans une situation similaire où la Cour avait préféré octroyer la protection subsidiaire à une irakienne en individualisant ses craintes par un motif de la Convention (religieux), le Conseil d'Etat a conclu à l'erreur de droit (CE, 15 mai 2009, n° 416162). Et la CNDA a suivi cette position dans des décisions ultérieures : lorsqu’un des éléments d’individualisation des craintes se rattache à un motif de la convention de Genève, ce n’est pas la PS-c qui doit être octroyée mais le statut de réfugié (par exemple, CNDA, 20 mars 2019, n° 17004013).

 

 

 

[1]La version actuelle de cet article prévoit désormais « une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence qui peut s'étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d'une situation de conflit armé interne ou international ».

Statut de la décision : Octroi de la protection subsidiaire