Décision CNDA n°416162

Mots clés :
: Motifs de reconnaissance de la qualité de réfugiée ; PS-c ; climat de violence généralisée résultant de la situation de conflit armé interne en Irak ; menaces graves, directes et individuelles.

Analyse de la décision

Faits et procédure :

 

1) Par une décision du 16 novembre 2005, l’Ofpra a refusé la qualité de réfugiée à une ressortissante irakienne tout en lui reconnaissant le bénéfice de la protection subsidiaire relative aux conflits armés (art. L 712-1 c) du CESEDA).

 

2) Elle forme un recours auprès de la Commission des recours des réfugiés en vue d’obtenir le statut de réfugié, aux motifs que son absence prolongée du pays constituerait un soupçon supplémentaire sur son activité d’opposante au pouvoir en place, elle se trouverait privée de toute protection à la suite du déclenchement du conflit, et, membre d’un groupe social persécuté, elle est par ailleurs exposée à des traitements inhumains et dégradants.

 

Dans la présente décision, la CRR se prononce sur ce recours.

 

Question(s) juridique(s) soulevée(s) :

 

Comment s’opère le choix entre le statut de réfugié et la protection subsidiaire pour les minorités religieuses issues d’une zone de conflit armé ?

 

Solution :

 

Tout d’abord la CRR décide que la requérante n’est pas fondée à se prévaloir de la qualité de réfugiée car les craintes de persécution alléguées par celle-ci ne peuvent être tenues pour fondées d’après les éléments donnés.

 

Toutefois, la CRR précise que les risques émanant de groupes armés ou d'éléments incontrôlés de la population et auxquels la requérante est aujourd’hui exposée,  doivent être regardés comme trouvant leur origine dans le climat de violence généralisée résultant de la situation de conflit armé interne qui prévaut aujourd’hui en Irak ; qu’ils constituent des menaces graves directes et individuelles, eu égard à son appartenance à la communauté assyro - chaldéenne chrétienne, à sa situation de femme isolée et à son aisance financière supposée. Dès lors elle conclut que c’est à bon droit que l’Office ne lui a pas reconnue la qualité de réfugiée au titre de la convention de Genève et lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire en application des dispositions de l’article L712-1 c).

 

Portée :

 

Concernant la nécessité d'individualiser les craintes :

 

Si le critère de l’individualisation des craintes de persécution est clairement mis en avant par la Convention de Genève pour la reconnaissance du statut de réfugié, la question est plus délicate s'agissant de la protection subsidiaire relative aux conflits armés.

 

La jurisprudence de l’asile a longtemps cherché à individualiser les craintes liées à un conflit armé sans évaluer le niveau de violence. Elle avait en effet une lecture littérale de l’article L712-1 c) du CESEDA qui disposait jusqu'en 2015 que le bénéfice de la protection subsidiaire pouvait être accordée à un civil courant un risque réel de subir : « s''agissant d'un civil, une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence généralisée résultant d'une situation de conflit armé interne ou international »[1].

 

C’est le cas de la décision en l’espèce : la CRR recherche l’individualisation de la crainte et juge que les risques auxquels la requérante est exposée « constituent des menaces graves directes et individuelles, eu égard à son appartenance à la communauté assyro - chaldéenne chrétienne, à sa situation de femme isolée et à son aisance financière supposée ».

Elle ne s'attarde en revanche pas, contrairement aux décisions plus actuelles, sur le niveau de violence généralisée régnant dans la région d’origine de la requérante et se contente seulement de rappeler qu’il y a en Irak un « climat de violence généralisée résultant de la situation de conflit armé interne ».

 

Cette absence d’automatisme de la recherche du niveau de violence s’explique, à date de la décision, par le fait que cette exigence n'a été fixée qu’ultérieurement par un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne en 2009 (CJCE, 17 févr. 2009, Aff. C-465/07, Elgafaji). Dans ce dernier, la CJUE considère que « le terme « individuelles » doit être compris comme couvrant des atteintes dirigées contre des civils sans considération de leur identité, lorsque le degré de violence aveugle caractérisant le conflit armé en cours […] atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir les menaces graves visées par l’article 15, sous c), de la directive » Le Conseil d'Etat (CE, 3 juillet 2009, Baskarathas) et la CNDA ont ainsi par la suite suivi ce raisonnement. Depuis, est donc posé le principe selon lequel l’individualisation des craintes est proportionnelle au niveau de violence.

 

Ainsi, dans une situation similaire, le niveau de violence généralisé serait désormais évalué par le juge pour savoir s'il est ou non nécessaire de rechercher l'individualisation des craintes de la requérante.

 

Concernant le motif d'individualisation des craintes :

 

De manière surprenante, la CRR juge que les éléments du dossier « ne permettent de tenir pour établi que les circonstances ayant provoqué le départ de la requérante d’Irak se rattachent à l’un des motifs prévus par les stipulations de la convention de Genève » et donc ne lui octroi pas le statut de réfugié. Or, son appartenance à la communauté assyro - chaldéenne chrétienne est dans le même temps expressément relevé par la Cour pour individualiser ses craintes. Les craintes du fait de la religion étant un motif d’octroi du statut de réfugié, il est étonnant que la Cour n'ait pas octroyé la protection conventionnelle à l’intéressée.

C'est d'ailleurs pour ce motif que la décision a par la suite été cassée par le Conseil d'Etat (CE, 15 mai 2009, n° 416162). Et la CNDA a suivi cette position dans des décisions ultérieures : lorsqu’un des éléments d’individualisation des craintes se rattache à un motif de la convention de Genève, ce n’est pas la PS-c qui doit être octroyée mais le statut de réfugié (par exemple, CNDA, 20 mars 2019, n° 17004013).

 

 

[1]La version actuelle de cet article prévoit désormais « une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence qui peut s'étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d'une situation de conflit armé interne ou international ».

Statut de la décision : Octroi de la protection subsidiaire