Décision CNDA n°533070

Mots clés :
PS-c ; climat de violence généralisée résultant de la situation de conflit armé interne en Colombie ; menaces graves, directes et individuelles.

Analyse de la décision

Faits et procédure :

 

A l’appui de sa demande de protection, une ressortissante colombienne soutient qu’elle craint d’être exposée à des persécutions ou à une atteinte grave en cas de retour dans sa région d’origine. Elle soutient en effet qu’elle est exposée à de graves actions de représailles de la part des FARC et que cela est lié à ses fonctions de comptable pour le compte de ses cousins, propriétaires terriens, et à sa situation financière confortable

 

L’Ofpra a rejeté sa demande. Elle forme un recours auprès de la Commission des recours des réfugiés en vue d’obtenir le statut de réfugié.

 

Dans la présente décision, la CRR se prononce sur ce recours.

 

Question(s) juridique(s) soulevée(s) :

 

A quelle protection est éligible une requérante craignant pour sa vie en raison de ses fonctions et de sa situation dans le contexte sécuritaire colombien ?

 

Solution :

 

Tout d’abord la CRR décide que la requérante n’est pas fondée à se prévaloir de la qualité de réfugié car les craintes de persécutions alléguées par celle-ci ne peuvent être tenues pour fondées d’après les éléments donnés.

 

Toutefois, elle précise que la requérante est exposée à une menace grave, directe et individuelle contre sa vie en raison de ses fonctions et de sa situation financière qui l’exposent à des graves actions de représailles de la part des FARC et que cette menace trouve son origine dans une situation de violence généralisée résultant d’un conflit armé se déroulant actuellement en Colombie dans la région de Valle del Cauca.

 

Dès lors elle annule la décision de l’Ofpra et lui accorde le bénéfice de la protection subsidiaire en application des dispositions de l’article L712-1 c).

 

 

Portée :

 

Concernant la détermination du niveau de violence :

 

La Commission justifie amplement les raisons pour lesquelles elle retient en l’espèce la situation de violence généralisée issue d’un conflit armé interne. Pour cela, elle rapporte que dans certaines zones en Colombie, se perpétuent des exactions, des massacres, des meurtres, des enlèvements, des extorsions de fonds et des menaces visant des groupes particuliers et que cet état résulte des violents affrontements entre les forces de sécurité colombiennes et les groupes armés, notamment les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), menant sur certaines parties du territoire des opérations militaires continues et concertées ainsi que des stratégies de contrôle de territoires par la guérilla, notamment à Cali et dans la région de Valle del Cauca.

 

Toutefois, contrairement à la jurisprudence de l’asile actuelle, le juge ne se contentait à cette époque que de qualifier ou non la situation de violence généralisée. Il n’opérait pas d’évaluation du degré de la violence généralisée, qu’elle soit basse ou haute, celle-ci n'ayant été mise en place qu'en 2009, par un arrêt de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE, 17 févr. 2009, Aff. C-465/07, Elgafaji) pour déterminer le degré nécessaire d'individualisation des craintes du demandeur issu d'une zone de conflit.

 

Concernant la nécessité d'individualiser les craintes :

 

Si le critère de l’individualisation des craintes de persécution est clairement mis en avant par la Convention de Genève pour la reconnaissance du statut de réfugié, la question est plus délicate s'agissant de la protection subsidiaire relative aux conflits armés.

 

La jurisprudence de l’asile a longtemps cherché à systématiquement individualiser les craintes liées à un conflit armé quelle que soit l’intensité de la violence. Elle avait en effet une lecture littérale de l’article L712-1 c) du CESEDA qui disposait jusqu'en 2015 que le bénéfice de la protection subsidiaire pouvait être accordée à un civil courant un risque réel de subir : « s'agissant d'un civil, une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence généralisée résultant d'une situation de conflit armé interne ou international ».[1]

 

Le critère de l’individualisation est bien visible en l’espèce, notamment car la CRR estime que les actions de représailles de la part des FARC sont « constitutives de menaces graves, directes et individuelles, en tant qu’elles sont liées à ses fonctions de comptable pour le compte de ses cousins, propriétaires terriens, et à sa situation financière confortable ». C’est donc la situation personnelle de la requérante (sa situation financière et sa fonction) qui permette d’individualiser les menaces qu’elle court de la part des FARC, et donc lui permet de bénéficier de la protection subsidiaire.

A l’heure actuelle, et depuis l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne en 2009, le raisonnement serait différent. En effet, dans ce dernier, la CJUE considère que le terme « individuelles » doit être compris comme couvrant des atteintes dirigées contre des civils sans considération de leur identité, lorsque le degré de violence aveugle caractérisant le conflit armé en cours […] atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir les menaces graves visées par l’article 15, sous c), de la directive ». Le Conseil d'Etat (CE, 3 juillet 2009, Baskarathas) et la CNDA ont ainsi par la suite suivi ce raisonnement. Depuis, est donc posé le principe selon lequel l’individualisation des craintes est proportionnelle au niveau de violence.

Ainsi, dans une situation similaire, le niveau de violence généralisée serait désormais évalué par le juge pour savoir s'il est ou non nécessaire de rechercher l'individualisation des craintes de la requérante.

 

[1] La version actuelle de cet article prévoit désormais « une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence qui peut s'étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d'une situation de conflit armé interne ou international ».

Statut de la décision : Octroi protection subsidiaire