Décision CNDA n°412125

Mots clés :
Motifs de reconnaissance de la qualité de réfugiée ; PS-c ; climat de violence généralisée résultant de la situation de conflit armé interne en Irak ; menaces graves, directes et individuelles.

Analyse de la décision

Faits et procédure :

 

A l’appui de sa demande de protection, une ressortissante irakienne soutient qu’elle craint d’être exposée à des persécutions ou à une atteinte grave en cas de retour dans sa région d’origine en raison de sa situation de femme isolée au sein du régime irakien.

L’Ofpra a rejeté sa demande. Elle forme un recours auprès de la Commission des recours des réfugiés en vue d’obtenir le statut de réfugié.

 

Dans la présente décision, la CRR se prononce sur ce recours.

 

Question(s) juridique(s) soulevée(s) :

 

A quelle protection est éligible une Irakienne craignant pour sa vie en raison de sa situation de femme isolée sans soutien familial dans un contexte de violence généralisée résultant d’un conflit armé ?

 

Solution :

 

Tout d’abord la CRR décide que la requérante n’est pas fondée à se prévaloir de la qualité de réfugiée car les craintes de persécution alléguées par celle-ci ne peuvent être tenues pour fondées d’après les éléments donnés, notamment le fait que des changements sont survenus depuis lors en Irak, qui ont conduit à la chute du régime de Saddam Hussein.

 

Toutefois, la CRR précise que les risques émanant de groupes armés ou d'éléments incontrôlés de la population et auxquels la requérante est aujourd’hui exposée, doivent être regardés comme trouvant leur origine dans le climat de violence généralisée résultant de la situation de conflit armé interne qui prévaut aujourd’hui en Irak ; qu’ils constituent des menaces graves directes et individuelles, eu égard à eu égard à sa situation de femme isolée, dépourvue de tout soutien familial dans sa région d’origine.

 

Dès lors elle annule la décision de l’Ofpra et accorde le bénéfice de la protection subsidiaire en application des dispositions de l’article L712-1 c).

 

 

Portée :

 

Concernant la détermination du niveau de violence :

 

De manière surprenante, la Commission ne justifie pas pourquoi elle retient la violence généralisée en l’espèce. A la même période et pour le même pays, elle le faisait pourtant (par exemple, CRR, SR, 17 février 2006, 497089 : la CRR justifie amplement la violence généralisée en estimant que la situation prévalant en Irak se caractérisait par une violence généralisée résultant du conflit entre les forces de sécurité irakiennes, les forces de la Coalition et des groupes armés, menant sur certaines parties du territoire des opérations militaires continues et concertées).

 

De plus, le juge n'opère pas d’évaluation de l’intensité de la violence généralisée, qu’elle soit basse ou haute, celle-ci n'ayant été mise en place qu'en 2009, par un arrêt de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE, 17 févr. 2009, Aff. C-465/07, Elgafaji) pour déterminer le degré nécessaire d'individualisation des craintes du demandeur issu d'une zone de conflit.

 

Concernant la nécessité d'individualiser les craintes :

 

Si le critère de l’individualisation des craintes de persécution est clairement mis en avant par la Convention de Genève pour la reconnaissance du statut de réfugié, la question est plus délicate s'agissant de la protection subsidiaire relative aux conflits armés.

 

La jurisprudence de l’asile a longtemps cherché à systématiquement individualiser les craintes liées à un conflit armé quel que soit le niveau de violence. Elle avait en effet une lecture littérale de l’article L712-1 c) du CESEDA qui disposait jusqu'en 2015 que le bénéfice de la protection subsidiaire pouvait être accordée à un civil courant un risque réel de subir : « s''agissant d'un civil, une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence généralisée résultant d'une situation de conflit armé interne ou international ».[1]

 

C’est le cas de la décision en l’espèce : la CRR recherche l’individualisation de la crainte et juge que les risques auxquels la requérante est exposée constituent des « menaces graves, directes et individuelles, eu égard à sa situation de femme isolée, dépourvue de tout soutien familial dans sa région d’origine ».

 

A l’heure actuelle, et depuis l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne en 2009, le raisonnement serait différent. En effet, dans ce dernier, la CJUE considère que le terme « individuelles » doit être compris comme couvrant des atteintes dirigées contre des civils sans considération de leur identité, lorsque le degré de violence aveugle caractérisant le conflit armé en cours […] atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir les menaces graves visées par l’article 15, sous c), de la directive ». Le Conseil d'Etat (CE, 3 juillet 2009, Baskarathas) et la CNDA ont ainsi par la suite suivi ce raisonnement. Depuis, est donc posé le principe selon lequel l’individualisation des craintes est proportionnelle au niveau de violence.

 

Ainsi, dans une situation similaire, le niveau de violence généralisée serait aujourd’hui évalué par le juge pour savoir s'il est ou non nécessaire de rechercher l'individualisation des craintes de la requérante.

 

[1] La version actuelle de cet article prévoit désormais « une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence qui peut s'étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d'une situation de conflit armé interne ou international ».

Statut de la décision : Octroi de la protection subsidiaire