Décision CNDA n° 552151

Mots clés :
Motifs de reconnaissance de la qualité de réfugiée ; PS-c ; climat de violence généralisée résultant de la situation de conflit armé interne au Soudan ; menaces graves, directes et individuelles.

Analyse de la décision

Faits et procédure :

 

A l’appui de sa demande de protection, un ressortissant soudanais soutient qu’il craint d’être exposée à des persécutions ou à une atteinte grave en cas de retour dans sa région d’origine en raison de son implication dans la défense de son village contre des miliciens.

 

L’Ofpra a rejeté sa demande. Il forme un recours auprès de la Commission des recours des réfugiés en vue d’obtenir le statut de réfugié.

 

Dans la présente décision, la CRR se prononce sur ce recours.

 

Question(s) juridique(s) soulevée(s) :

 

A quelle protection est éligible un intéressé craignant pour sa vie en raison de son implication dans la défense de son village dans un contexte de violence généralisée résultant d’un conflit armé ?

 

Solution :

 

Tout d’abord la CRR décide que le requérant n’est pas fondé à se prévaloir de la qualité de réfugié car les craintes de persécution alléguées par celui-ci ne peuvent être tenues pour fondées d’après les éléments donnés.

 

Toutefois, elle précise que le requérant est exposé à une menace grave, directe et individuelle contre sa vie en raison de son implication dans la défense de son village. Et que cette menace prévaut dans une situation de violence généralisée résultant d’un conflit armé se déroulant actuellement au Darfour.

 

Dès lors elle annule la décision de l’Ofpra et lui accorde le bénéfice de la protection subsidiaire en application des dispositions de l’article L712-1 c).

 

Portée :

 

De manière surprenante, la Commission ne précise pas les raisons pour lesquelles elle retient en l’espèce l’existence d’une violence généralisée résultant d’un conflit armé. Elle se contente, s’agissant de la situation sécuritaire sur place d’indiquer que le requérant « a fui la situation de violence généralisée résultant du conflit armé se déroulant actuellement au Darfour ; qu’il établit être exposé dans son pays à l’une des menaces graves visées par les dispositions du c) de l’article L 712- 1 du Ceseda ».

Elle ne précise pas même les parties au conflit. A la même période, elle le faisait pourtant, même succinctement, dans d’autres décisions (par exemple, CRR, SR, 17 février 2006, 497089 : la CRR précise que la situation prévalant en Irak se caractérisait par une violence généralisée résultant du conflit entre les forces de sécurité irakiennes, les forces de la Coalition et des groupes armés, menant sur certaines parties du territoire des opérations militaires continues et concertées).

Une rédaction qui ne serait plus tolérée aujourd’hui, le Conseil d’Etat estimant que pour appliquer la PS-c, la CNDA est tenue de qualifier le conflit dont elle estime que la violence est issue, c’est-à-dire relever les forces qui s’affrontent sur place et déterminer s’il s’agit d’un conflit armé interne ou international (CE, 15 décembre 2010, n°328420).

 

Le juge serait aussi désormais tenu d’évaluer l’intensité de la violence généralisée, qu’elle soit basse ou haute. Un procédé mis en place en 2009, par un arrêt de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE, 17 févr. 2009, Aff. C-465/07, Elgafaji) pour déterminer le degré nécessaire d'individualisation des craintes du demandeur issu d'une zone de conflit.

 

Concernant la nécessité d'individualiser les craintes :

 

Si le critère de l’individualisation des craintes de persécution est clairement mis en avant par la Convention de Genève pour la reconnaissance du statut de réfugié, la question est plus délicate s'agissant de la protection subsidiaire relative aux conflits armés.

 

La jurisprudence de l’asile a longtemps cherché à systématiquement individualiser les craintes liées à un conflit armé quelle que soit l’intensité de la violence. Elle avait en effet une lecture littérale de l’article L712-1 c) du CESEDA qui disposait jusqu'en 2015 que le bénéfice de la protection subsidiaire pouvait être accordée à un civil courant un risque réel de subir : « s'agissant d'un civil, une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence généralisée résultant d'une situation de conflit armé interne ou international ».[1]

 

C’est le cas de la décision en l’espèce : la CRR recherche l’individualisation de la crainte et juge que le requérant est «  exposé à une menace grave, directe et individuelle contre sa vie en raison de son implication dans la défense de son village ».

 

A l’heure actuelle, et depuis l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne en 2009, le raisonnement serait différent. En effet, dans ce dernier, la CJUE considère que le terme « individuelles » doit être compris comme couvrant des atteintes dirigées contre des civils sans considération de leur identité, lorsque le degré de violence aveugle caractérisant le conflit armé en cours […] atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir les menaces graves visées par l’article 15, sous c), de la directive ». Le Conseil d'Etat (CE, 3 juillet 2009, Baskarathas) et la CNDA ont ainsi par la suite suivi ce raisonnement. Depuis, est donc posé le principe selon lequel l’individualisation des craintes est proportionnelle au niveau de violence.

 

Ainsi, dans une situation similaire, le niveau de violence généralisée serait désormais évalué par le juge pour savoir s'il est ou non nécessaire de rechercher l'individualisation des craintes du requérant.

Par ailleurs, le critère d’individualisation retenu en l’espèce pourrait être discuté en ce qu’il pourrait s’apparenter à un motif conventionnel. En effet, dans un conflit armé tel que celui prévalant au Darfour, s’impliquer personnellement peut, sans grande difficulté, être qualifié d’opinion politique, ou être considéré par les acteurs du conflit comme tel.

Or, dans le cas où le motif d’invidualisation des craintes retenu pour l’application de la PS-c est un motif conventionnel, la PS doit s’effacer au profit de la Convention de Genève et c’est le statut de réfugié qui doit être reconnu (CE, 15 mai 2009, 292564).

 

[1] La version actuelle de cet article prévoit désormais « une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence qui peut s'étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d'une situation de conflit armé interne ou international ».

Statut de la décision : Octroi de la protection subsidiaire