Décision CNDA n°19026476

Analyse de la décision

Faits et procédure :

A l’appui de sa demande de protection, le requérant fait valoir qu’il a rejoint un groupe de défense de la ville de Tombouctou contre les attaques djihadistes. Son père a dans ce contexte été tué et enlevé. Il a fui son pays en octobre 2013 et rejoint la France en février 2018.

 

L’Ofpra a rejeté sa demande. Dans la présente décision, la CNDA se prononce sur le recours formé contre cette décision de rejet.

 

Question(s) soulevée(s) :

Le Mali est-il encore affecté par un conflit armé ? Le cas échéant, dans quelle mesure la région de Tombouctou est-elle affecté par les violences de ce conflit ?

 

Solution :

Le juge relève que le Mali est toujours affecté, dans certaines de ses régions par un conflit armé dont les enjeux sont variables selon les territoires et donc les conséquences graves pour les civils ont diminué dans les régions du Nord du Mali, dont Tombouctou (45% des victimes sont des civils, 55% sont des membres des forces en présence).

Plus particulièrement dans la région de Tombouctou, la CNDA relève qu’il y a eu 11 attaques terroristes dans la région aux mois de mars et avril 2019 et compare le nombre de personnes déplacées internes dans la région en juillet 2019 à celui des personnes se réinstallant dans la région à la même période (28 000 contre 286 000). Le juge tire alors de ces constats la conclusion que la région de Tombouctou n’est pas affectée par un niveau violence suffisant pour entrainer l’application de la Ps-c aux demandeurs de protection qui en sont originaires.

 

Portée/analyse :

 

L’évaluation du niveau de violence :

 

La décision opère une distinction entre les différentes régions du Nord du Mali souvent considérées comme les plus exposées au conflit. Pour exemple, la région voisine de Gao avait été considérée plusieurs mois auparavant comme affectée par une violence de basse intensité pouvant entrainer l’application de la Ps-c (CNDA 24 juillet 2018 M. K. n° 17043779).

 

S’agissant des indicateurs retenus pour rejeter la qualification de violence aveugle dans la région de Tombouctou, la Cour retient :

- le nombre de morts, sans pour autant s’intéresser aux autres victimes potentielles (blessés, disparus, arrestations arbitraires, agressions sexuelles, etc) ;

- la part minoritaire des civils parmi ces décès, bien qu’une répartition 45/55 % (entre morts civiles et morts des forces armées) ne dégage pas une majorité écrasante de décès impliquant des acteurs du conflits ;

- l’existence de 11 attaques sur deux mois de l’année en cours, sans indiquer s’il y en aurait eu d’autres sur d’autres périodes de la même année, ni développer l’intensité et les conséquences de ces 11 attaques ;

- la comparaison entre déplacés internes et déplacés de retour dans la région, qui s’il peut être un indicateur intéressant des craintes des civils sur place, doit être mis en perspective avec les raisons du retour sur place. Il est parfois davantage lié à l’aggravation de la situation sécuritaire dans la zone de refuge plutôt qu’à l’apaisement dans la région d’origine (et donc de retour). Et notamment, en 2019, l’aggravation spectaculaire de la situation au Burkina Faso[1], pays voisin dans lequel de nombreux maliens avaient trouvé refuge, explique de nombreux retours au Mali.

 

Cette décision tend donc à l’application d’indicateurs de violences plutôt sommaires et permet de s’interroger sur la fiabilité de l’appréciation de la violence au Mali par la CNDA.

 

 

La qualification de la violence :

 

Le bulletin juridique de la CNDA traitant de cette décision[2] évoque le fait que cette décision « entérine également la nouvelle terminologie en matière de caractérisation des niveaux de violence permettant l’application » de la Ps-c en substituant la notion de « violence aveugle » à celle de « basse intensité » et la notion de « violence aveugle d’intensité exceptionnelle » à celle de « haute intensité ».

Cela ne ressort pas aussi explicitement de la décision qui ne fait état d’aucun de ces termes, toutefois, la CNDA a bien opéré ce changement de vocabulaire à l’automne 2019.

 

Jusqu'alors, la Cour classait les zones de conflit en situations de violence aveugle de basse intensité (par exemple, CNDA, 24 juill. 2018, n° 17043779), haute intensité (par exemple, CNDA, 11 avr. 2016, n° 15018700) ou, parfois, de moyenne intensité (CNDA, 24 mars 2017, n°1600643). Plus l'intensité était faible, plus il était nécessaire d'individualiser les craintes du requérant dans le conflit.    A l'inverse, si la violence était jugée de haute intensité dans une zone, tout civil qui établissait en provenir se voyait accorder une protection sans démontrer que des éléments propres à sa personne l'exposaient particulièrement dans le conflit. Une position qui tendait à respecter la jurisprudence de la CJUE en la matière (exemple : CJUE, grande ch., 17 févr. 2009, aff. C-465/07, Elgafaji).

 

Désormais, il n'est plus fait référence à la basse ou haute intensité de la violence, mais à la « violence aveugle » et à la « violence aveugle d'intensité exceptionnelle ». La première exige une individualisation des craintes du civil dans le conflit, la seconde permet d'accorder la protection subsidiaire sans personnalisation des craintes. 

 

[1] Le Monde,  Le Burkina Faso est devenu partie intégrante de la crise au Sahel , 5 novembre 2019.

[2] CNDA, Bulletin d’information juridique n° 11-12/2019.

Statut de la décision : Rejet