Décision CNDA n°17042467

Mots clés :
PS-c, zone de violence à traverser

Analyse de la décision

Faits et procédure :

A l’appui de sa demande de protection, un ressortissant irakien originaire de Souleimaniyé fait état de craintes d’une atteinte grave en cas de retour dans son pays. Il justifie ses craintes par l’incapacité des autorités à lui fournir une protection à la suite d’un litige privé relatif à une dette financière. D’autre part, il les justifie par la situation de violence de haute intensité résultant d’un conflit à Bagdad (région dans laquelle « il serait d’abord reconduit en cas de retour en Irak ») ainsi que par la dégradation de la situation sécuritaire prévalant dans sa région d’origine (Souleimaniyé).

 

L’OPFRA, puis la CNDA ont rejeté la demande du requérant en 2017 et le demandeur, estimant qu’il avait à présenter à la Cour des éléments supplémentaires, a demandé un réexamen de sa demande. La présente décision se prononce sur celui-ci. 

 

Question(s) juridique(s) soulevée(s) :

La situation sécuritaire prévalant dans la région d’origine du requérant (Souleimaniyé) est-elle d’un degré de violence suffisamment élevé pour justifier l’octroi de la PS-c aux termes de l’article 712-1 c) du CESEDA ?

L’itinéraire du retour du requérant dans sa région d’origine présente-t-il des raisons fondées de croire que le requérant courrait un danger seulement du fait de son passage sur ces territoires ?

 

Solution :

Le juge estime que le requérant n’a pas fourni d’éléments nouveaux relatifs à sa situation personnelle par rapport à sa première demande.

 

Pour ce qui est de la situation sécuritaire prévalant dans la région d’origine du requérant et de son éventuelle dégradation depuis le dernier examen de sa demande de protection, la CNDA, à l’appui d’une note de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié au Canada, présente la province de Souleimaniyé comme bénéficiant d’une « situation sécuritaire « relativement sûre » voire « satisfaisante » ». La Cour s’appuie également sur des articles journalistiques pour prendre sa décision et affirme en conséquence qu’aucun « élément d’information récent ne permet d’admettre qu’il y [province de Souleimaniyé] règnerait actuellement une situation de violence aveugle résultant d’un conflit armé interne pouvant s’étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle ».  La Cour souligne ici que la situation prévalant dans la région d’origine du requérant n’a pas particulièrement évolué depuis le premier rejet de sa demande par la Cour en 2017 et estime donc qu’il ne s’agit pas là d’un élément nouveau.

 

De même pour l’itinéraire que le requérant devrait emprunter en cas de retour en Irak : à l’appui d’un nombre conséquent de ressources journalistiques, la CNDA affirme dans cette décision que l’itinéraire peut être effectué par des vols intérieurs et que l’escale à Bagdad ne permet pas de « conclure qu’il serait exposé, en cas de retour en Irak, à un risque réel d’atteinte grave au sens des dispositions de l’article L. 712-1 c) du CESEDA ».

 

Portée :

Lorsque la situation sécuritaire prévalant dans la région d’origine du demandeur s’est dégradée par rapport à la situation qui prévalait lors de l’examen de sa première demande d’asile, alors cela peut être considéré comme un élément nouveau et justifier le réexamen du fond de sa demande comme illustré dans les décisions de la CNDA du 15 avril 2016 (n°15033384) et du 13 mars 2009 (n°580861). Or, ça n’est pas le cas de l’espèce.

 

Cette décision permet donc de confirmer la classification de la province de Souleimaniyé comme n’étant pas une zone de violence aveugle résultant d’un conflit armé en 2018 et donc comme ne relevant pas des dispositions de l’article L. 712-1 c) du CESEDA. De ce fait, la question de l’individualisation des faits ne se pose même pas. Ça aurait été le cas s’il y avait eu une situation de violence aveugle, même de basse intensité, conformément aux décisions de principe CJCE, 17 février 2009, Aff. C-465/07, Epoux Elgafaji et CE, 3juillet 2009, n°320295, Baskarathas. 


Cette décision permet également d’affiner les éléments à prendre en compte lorsqu’un demandeur pourrait être amené, en cas de retour dans sa région d’origine, à traverser une zone de violence aveugle issue d’un conflit armé. Traditionnellement, la seule traversée d’une zone de violence aveugle élevée suffit à justifier l’octroi de la PS-c. Une position largement diffusée par la « jurisprudence Kaboul », validée par un arrêt du Conseil d’Etat du 16 octobre 2017 (CE, 16 oct. 2017, n°401585) qui permet la protection de tous les ressortissants étrangers devant traverser une zone de violence pour rentrer dans leur région d’origine et ce même si celle-ci est une zone peu ou pas affectée par un conflit armé et la violence aveugle qui en découle. Cette jurisprudence Kaboul, déjà appliquée pour d’autres pays que l’Afghanistan comme au Soudan dans la décision de la CNDA du 3 juillet 2014 (n°13024480), ne s’applique pas au cas d’espèce tout simplement parce que l’itinéraire ne présente pas ces caractéristiques : le trajet Bagdad / Souleimaniyé est possible par le biais de vols intérieurs et n’obligerait donc pas le requérant à emprunter un itinéraire avec un degré élevé de violence aveugle en cas de retour.  Ainsi, selon la CNDA, le seul transit aéroportuaire par la ville de Bagdad ne peut être considéré comme une traversée effective de la zone de violence aveugle élevée qu’est Bagdad.

 

A titre de comparaison, on peut prendre la décision de la CNDA du 11 avril 2016 (n°5018700) accordant la PS-c à une requérante originaire de la provine de Bassorah (Irak) au motif que le passage nécessaire par Bagdad pour se rendre dans sa région d’origine l’exposait à un danger du seul fait de sa présence en ce lieu.

Ainsi, on peut dire que la jurisprudence se nuance : les demandes de protection par les ressortissants irakiens originaires d’une zone de conflit de violence sont examinées selon le mode de traversée de la ville dangereuse située sur le trajet, et donc selon l’exposition au danger au sein de celle-ci.

Statut de la décision : Rejet