Décision CNDA n°16039973

Mots clés :
PS-c, pays de refuge en guerre, intensité de la violence au Yémen, intensité de la violence au Centre et au Sud de la Somalie

Analyse de la décision

Faits et procédure :

A l’appui de sa demande de protection, un ressortissant somalien ayant obtenu le statut de réfugié au Yémen fait état de ses craintes de persécutions et d’une atteinte grave dans son pays d’origine (Somalie) et dans son pays d’accueil (Yémen)

Il fait valoir qu’il est originaire de Jilib, Moyen Djouba en Somalie, pays qu’il a fui avec ses parents en 1991 vers le Yémen (Sanaa) où il s’est vu accorder le statut de réfugié aux termes de l’article 1er A2 de la Convention de Genève.

Le requérant a fui le Yémen en juillet 2014, se sentant menacé par des trafiquants, et est arrivé sur le territoire français le 25 juin 2016.

 

L’OPFRA a rejeté la demande d’asile du requérant en novembre 2016. Dans la présente décision, la CNDA se prononce en faveur du recours formé contre cette décision de rejet. Elle accorde alors la protection subsidiaire au requérant en vertu de l’article 712-1 c) du CESEDA. 

 

Question(s) juridique(s) soulevée(s) :

Le Yémen est-il capable d’assurer une protection effective aux bénéficiaires du statut de réfugié accordé par ses autorités sur son territoire ?

Le degré de violence aveugle de la situation sécuritaire prévalant en Somalie est-il suffisamment élevé pour justifier l’octroi de la protection subsidiaire au sens de l’article 712-1 c) du CESEDA ?

 

Solution :

 

Rappelant qu’un individu ayant obtenu le statut de réfugié dans un Etat partie à la Convention de Genève ne peut l’obtenir dans un autre Etat partie que si le premier est incapable d’assurer une protection effective (selon l’article L. 723-11, 2° du CESEDA), le juge examine la situation sécuritaire prévalant au Yémen. Il relève alors l’existence d’une violente guerre civile sur place qui ne permet aux autorités d’y offrir une protection à la population civile yéménite ni aux populations étrangères réfugiées au Yémen. La Cour constate alors l’ineffectivité de la protection accordée par les autorités yéménites.


Elle examine alors les craintes du demandeur dans son pays d’origine, la Somalie, et, après avoir refusé au requérant le statut de réfugié, elle lui accorde la protection subsidiaire en vertu de l’article L. 712-1, c) du CESEDA. En effet, la Cour considère que la situation sécuritaire présente un degré de violence aveugle causé par un conflit armé « si élevé qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’un civil qui y serait renvoyé courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire, un risque réel de subir une atteinte grave ». 

 

Portée :

 

Protection dans un autre Etat partie à la Convention de Genève :

Comme disposé par l’article R. 723-11 du CESEDA, la décision envisage d’abord la situation au Yémen (pays qui a accordé le statut de réfugié au requérant) puis la Somalie (pays d’origine dans lequel le requérant ne possède pas d’intérêts), comme éventuelle terre de retour.      


Si le Yémen avait été considéré comme en mesure de protéger effectivement les réfugiés présents sur son territoire, les craintes de l’intéressé n’auraient pas été examinées à l’égard de son pays de nationalité, la Somalie.

En revanche, si après avoir constaté l’ineffectivité de la protection au Yémen en raison du conflit armé sur place, la région d’origine du requérant en Somalie n’avait pas été considérée comme affectée par une violence aveugle de haute intensité résultant d’un conflit armé, la protection subsidiaire n’aurait pas été accordée et, le retour dans le pays d’origine, envisageable alors même que le requérant n’y avait pas vécu depuis sa petite enfance.

 

La situation sécuritaire prévalant en Somalie et au Yémen :

A l’appui de sa décision, la CNDA cite un certain nombre de rapports d’acteurs internationaux soulignant l’instabilité de la situation sécuritaire en Somalie. Ces rapports font état notamment des exactions menées par l’organisation terroriste Al-Shabaab qui contrôle en grande partie la région du Moyen-Djouba. Ce contrôle se manifeste notamment par le déploiement de plus de deux milles hommes sur le territoire et par des violences envers les populations civiles : frappes aériennes fréquentes et affrontements entre l’organisation terroriste et les forces gouvernementales somaliennes qui causent un grand nombre de victimes civiles et des déplacements massifs de populations.  La Cour donne par ailleurs un exemple concret d’attaque aérienne ayant causé la mort de civils le 17 aout 2017.

En découle de fait la classification de la région en tant que zone de violence aveugle de haute intensité qui ne donne pas lieu à une individualisation des faits conformément aux décisions CJCE, 17 février 2009, Aff. C-465/07, Epoux Elgafaji et CE, 3 juillet 20019, n°320295, Baskarathas.

 

Pour ce qui est de la qualification de la situation sécuritaire prévalant au Yémen, qui a précédé celle de la Somalie dans le raisonnement juridique, la CNDA a procèdé différemment. En effet, elle ne se prononce pas explicitement sur l’intensité de la violence et donne, dans sa décision, nettement moins de détails sur les conséquences et le déroulement du conflit sur place par rapport à la Somalie.

On peut supposer que cette différence dans la précision de l’analyse, au sein d’une même décision, pour deux pays en guerre, s’explique par un fondement juridique différent pour l’un et pour l’autre. En effet, pour le Yémen, il s’agissait de contrôler l’effectivité d’une protection existante. Le juge semblerait être en conséquence moins exigeant que lorsqu’il s’agit d’examiner les craintes dans le pays d’origine comme c’est le cas pour la Somalie.

Statut de la décision : Octroi de la protection subsidiaire