Décision CNDA n°16005729

Mots clés :
PS-c ; violence aveugle de haute intensité dans la province de Wardak (Afghanistan) ; appréciation de la qualité de civil

Analyse de la décision

Faits et procédure :

 

A l’appui de sa demande de protection, un ressortissant afghan soutient qu’il craint d’être persécuté en cas de retour dans sa région d’origine en raison de ses opinions politiques.

 

L’Ofpra a rejeté sa demande par une décision du 9 novembre 2016. Dans la présente décision, la CNDA se prononce sur le recours formé contre cette décision de rejet.

 

Question(s) juridique(s) soulevée(s) :

 

Le degré de violence aveugle dans la province du Wardak en Afghanistan atteint-il un niveau si élevé qu’il justifierait l’octroi, à tous les Afghans qui en sont originaires, de la protection subsidiaire au sens de l’article L712-1 c) ?

 

De plus, comment évaluer la qualité de civil au sens de l’article L712-1 c) ? La seule possession d’une arme à des fins de défense remet-elle en cause la qualité de civil ?

 

 

Solution :

 

Tout d’abord, la CNDA juge que le requérant n’est pas fondé à se prévaloir de la qualité de réfugié ni de la protection subsidiaire résultant des dispositions a) et b) de l’article L712-1 a) du CESEDA car les craintes énoncées ne peuvent être tenues pour fondées.

 

Ensuite, la CNDA rappelle classiquement que lorsque le degré de violence aveugle caractérisant un conflit armé atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’un civil renvoyé dans le pays ou la région concernés courrait du seul fait de sa présence sur le territoire un risque réel, alors le requérant n’est pas obligé de prouver l’existence d’une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne. Mais que lorsque la situation de violence n’apparaît pas aussi élevée, il lui appartient de démontrer qu’il serait, à titre individuel, directement exposé à ladite violence dans le contexte prévalant dans sa région d’origine.

 

Dès lors, le bien-fondé de la demande de protection du requérant doit également être apprécié au regard de la situation prévalant actuellement en Afghanistan, et plus particulièrement dans la province de Wardak, d’où il a établi être originaire. La Cour estime alors qu'à la date de la décision, la situation de la province de Wardak doit être regardée comme une situation de violence de haute intensité, qui peut s’étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d’une situation de conflit armé interne ou international. Ainsi le bénéfice de la protection subsidiaire est applicable, au sens de l’article L712-1 c) du CESEDA, aux civils de cette province.

 

Examinant ensuite si le requérant qui possédaient en Afghanistan des armes peut être considéré comme civil, la Cour estime que la seule possession d’une arme à des fins de défense, indépendamment de toute participation à une unité armée organisée ou constituée en vue de combattre, ne saurait remettre en cause sa qualité de civil.

 

La protection subsidiaire au sens de l’article L712-1 c) du CESEDA est donc octroyée au requérant.

 

 

Portée :

 

Concernant le lieu des violences évaluées :

L’évaluation n’est pas faite qu’au niveau du pays d’origine dans son ensemble, mais sur la région dans laquelle le requérant avait le centre de ses intérêts (en l'espèce, Wardak), ainsi qu’au niveau des zones qu’il devrait traverser dans son pays, en vue de rejoindre sa région d’origine. 

 

Concernant la détermination du niveau de violence :

Pour déterminer ce niveau de violence à Wardak, la Cour se fonde, sur le rapport du Bureau d’appui européen pour l’asile (EASO) sur la situation sécuritaire en Afghanistan publié en novembre 2016, lequel fait état « en 2015 et 2016, [d'un] nombre élevé de victimes civiles » (sans préciser les chiffres qui permettent de qualifier ce nombre comme étant « élevé ») et de la grande instabilité dans la province, liée notamment à sa proximité avec la capitale, Kaboul. Le juge cite également le reportage de la BBC du 20 octobre 2014, intitulé « Afghanistan conflict : Life inside a Taliban stronghold » et plusieurs rapports du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

 

Concernant la qualification de civil :

 

La protection subsidiaire de l'article L. 712-1, c) ne s'applique qu'aux civils. La Cour a dégagé en l’espèce une liste de critères permettant de déterminer si un demandeur d’asile peut être considéré comme un « civil » au sens de cet article.

 

Ainsi, elle juge que la seule possession d’une arme et l’utilisation ponctuelle de celle-ci à des fins de défense, sans obéir aux ordres d’aucun commandement ou d’aucune autorité et indépendamment de toute participation à une unité armée organisée ou constituée en vue de combattre, ne saurait remettre en cause la qualité de civil d’un demandeur d’asile.

 

Cette définition peut être rapprochée de celle existant en droit international humanitaire où la qualité de « civils » est définie comme les personnes qui ne sont pas membres des forces armées. Cette définition est formulée à l’article 50 du Protocole additionnel [1],  figure dans un nombre considérable de manuels militaires (cette pratique comprend même celle des États qui ne sont pas ou qui n’étaient pas à l’époque parties au Protocole additionnel I) [2]. Le TPIY, dans un jugement sur l’affaire Blaškić en 2000[3], a défini les civils comme « des personnes qui n’appartiennent pas, ou plus, aux forces armées ». Ainsi les civils ont droit à la protection contre les attaques directes, sauf s’ils participent directement aux hostilités et pendant la durée de cette participation.

 

Plus précisément :

-Dans les conflits armés internationaux : aux fins du principe de distinction dans les conflits armés internationaux, toutes les personnes qui ne sont ni des membres des forces armées d’une partie au conflit ni des participants à une levée en masse sont des personnes civiles, et elles ont donc droit à la protection contre les attaques directes, sauf si elles participent directement aux hostilités et pendant la durée de cette participation.

-Dans les conflits armés non internationaux : aux fins du principe de distinction dans les conflits armés non internationaux, toutes les personnes qui ne sont pas des membres des forces armées d’un État ou de groupes armés organisés d’une partie au conflit sont des personnes civiles, et elles ont donc droit à la protection contre les attaques directes, sauf si elles participent directement aux hostilités et pendant la durée de cette participation.

 

Dans les conflits armés non internationaux, s'agissant des membres de groupes d’opposition armés, il est admis que les groupes armés organisés constituent les forces armées d’une partie non étatique au conflit et ne se composent que de personnes ayant pour fonction continue de participer directement aux hostilités. La participation directe aux hostilités désigne des actes spécifiques commis par des individus dans le cadre de la conduite des hostilités entre les parties à un conflit armé (plusieurs éléments sont constitutifs de la participation directe aux hostilités).[4]

 

En droit d'asile, les forces de police et de gendarmerie sont également exclues de la qualité de civils[5]. Ces derniers peuvent toutefois, s'ils sont particulièrement ciblés dans le conflit, obtenir une protection conventionnelle. 

 

Mais, en droit international humanitaire comme dans la décision en l’espèce, lorsque la personne possède une arme sans participer à une unité armé organisée, cela ne remet pas en cause sa qualité de civil.

 

 

[1] Article 50 (Définition des personnes civiles et de la population civile) du Chapitre 2 (Personnes civiles et population civile) de la Section 1 (Protection générale contre les effets des hostilités) du Titre 4 (Population civile) du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I) adopté le 8 juin 1977 et entrée en vigueur le 7 décembre 1978 qui dispose : 

« 1. Est considérée comme civile toute personne n'appartenant pas à l'une des catégories visées à l'article 4 A. 1), 2), 3), et 6) de la IIIe Convention et à l'article 43 du présent Protocole. En cas de doute, ladite personne sera considérée comme civile.

  1. La population civile comprend toutes les personnes civiles. 
  2. La présence au sein de la population civile de personnes isolées ne répondant pas à la définition de personne civile ne prive pas cette population de sa qualité. »

[2] Site du CICR - Base de données sur le DIH - Règle 5 : La définition des civils

Lien : https://ihl-databases.icrc.org/customary-ihl/fre/docs/v1_cha_chapter1_rule5

 

[3] TPIY, 3 mars 2000, Le Procureur c/ Tihomir Blaškic, Affaire nº: IT-95-14-T : « Au sens de l’article 3 [du Statut], les civils sont des personnes qui n’appartiennent pas, ou plus, aux forces armées ».

 

[4] Guide interprétatif sur la notion de participation directe aux hostilités en droit international, page 48.

Lien : https://www.icrc.org/fr/doc/assets/files/other/icrc_001_0990.pdf

 

[5] La question s'est posée de savoir si le fait d'avoir quitté le pays et donc, de fait, ses fonctions, rendaient la qualité de civil à ces personnes. Le Conseil d'État est sur ce point exigeant et estime qu'à « défaut d'acte formel de démission » un policier ne recouvre pas sa qualité de civil du seul fait d'avoir quitté son pays (CE, 11 déc. 2019, n° 424219 et CE, 11 déc. 2019, n°427714).

 

Statut de la décision : Octroi de la protection subsidiaire