Décision CE n°401585

Mots clés :
PS-c ; zones de violence à traverser ; obligation du juge de l’asile de qualifier le degré de violence.

Analyse de la décision

Faits et procédure :

1) Par une décision du 23 juin 2015, l’Ofpra refuse à un ressortissant afghan, la qualité de réfugié et le bénéfice de la protection subsidiaire.

2) La CNDA, saisie du recours contre cette décision, lui accorde le 10 mai 2016, le bénéfice de la protection subsidiaire sur le fondement de l’article L.712-1 c) du CESEDA. Elle estime que pour se rendre dans sa province d’origine qui n’est pas atteinte par une violence de haute intensité, l’intéressé doit nécessairement traverser la zone de Kaboul, exposée à la violence.

3) L’Ofpra se pourvoit en cassation contre cette décision de la CNDA en tant qu’elle accorde à l’intéressé le bénéfice de cette protection. Le CE se prononce alors sur ce recours.

Question(s) juridique(s) soulevée(s) :

Un requérant rejoignant une région où il n’y a pas de violence aveugle issue d’un conflit armé mais traversant, même temporairement, une zone en proie à de telles violences répondant aux critères de la protection subsidiaire PS-c, peut-il prétendre au bénéfice de cette protection ?

Dans l’affirmative, la seule mention de ce passage suffit-elle à l’octroi de cette protection subsidiaire ou une qualification du degré de violence dans la zone traversée est-elle nécessaire ?

Solution :

Le Conseil d’Etat rappelle tout d’abord classiquement que le bénéfice de la protection subsidiaire, sur le fondement de l’article L. 712-1 c) du CESEDA découle, en principe, de l’existence, dans la région que l’intéressé a vocation à rejoindre, d’un degré de violence généralisée[1] tel qu’il existe des motifs sérieux et avérés de penser qu’un civil renvoyé dans cette région courrait, du seul fait de sa présence sur ce territoire, un risque réel de subir une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne.

En outre, il ajoute, que, dans l’hypothèse où la région que l’intéressé a vocation à rejoindre ne connaît pas une telle violence, le bénéfice de la protection subsidiaire peut aussi résulter de la circonstance qu’il ne peut s’y rendre sans nécessairement traverser une zone au sein de laquelle il existe un tel degré de violence.

C’est la position que la CNDA avait retenue estimant qu’en l’espèce, le requérant devait traverser la zone de Kaboul.

Toutefois, le Conseil d’Etat rappelle au juge de l’asile son obligation de qualifier le degré de violence dans les zones traversées de la même manière qu’il est tenu de qualifier le degré de violence de la zone d’origine de l’intéressé. Soit, si dans cette zone, le degré de violence généralisée résultant du conflit armé atteignait une intensité telle qu’il existait des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé courrait, du seul fait de son passage par cette zone, un risque réel de subir des menaces graves, directes et individuelles contre sa vie ou sa personne.

C’est sur ce point que la CNDA a commis une erreur de droit car elle n’a pas qualifié le degré de violence à Kaboul. Le CE annule donc la décision de la CNDA.

 

Portée :

Concernant l’octroi de la protection subsidiaire en cas de traversée d’une zone de violence :

Le Conseil d’Etat confirme une position déjà régulièrement retenue par la CNDA (CNDA, 3 juill. 2014, n° 13024480 pour un Darfouri, CNDA, 26 mars 2015, n° 14033828 pour un Yéménite), notamment en faveur des Afghans (pour exemple, CNDA, 6 janv. 2017, n° 16005156).

A charge toutefois pour le juge de qualifier systématiquement le degré de la violence de la zone traversée. Le Conseil d’Etat s’inscrit ici dans une jurisprudence constante car il n’hésite pas à censurer la CNDA lorsqu’elle ne recherche pas l’intensité de la violence caractérisant un conflit armé, sachant que cela fait partie des conditions ouvrant droit au bénéfice de la protection subsidiaire (pour exemple, CE, 24 août 2011, n° 341270).

En pratique, cette jurisprudence permet d’accorder de manière quasi-automatique la protection subsidiaire aux demandeurs qui sont reconnus comme civils afghans, quelle que soit la province dont ils sont originaires, tant que :

  • Kaboul est considérée comme de zone de violence aveugle d’intensité exceptionnelle (anciennement « violence généralisée de haute intensité ») ;
  • que les renvois forcés en Afghanistan depuis la France sont présumés opérés par le seul aéroport de Kaboul.

Ainsi, au regard de cette jurisprudence, l’enjeu pour les demandeurs se déclarant afghans est donc de prouver leur nationalité, puis de démontrer qu’ils sont des civils. A cet égard, le Conseil d’Etat a par exemple estimé que des policiers afghans ne pouvaient être considérés comme civils tant qu’ils n’ont pas officiellement démissionnés (CE, 11 déc. 2019, n° 424219 ; CE, 11 déc. 2019, n° 427714), ils sont en revanche éligibles au statut de réfugié (CNDA, 8 janv. 2019, n°17049487).

Néanmoins, cette jurisprudence peut être nuancée dès lors qu’il existe d’autres points d’entrée dans la région d’origine que la zone de violence, notamment lorsqu’il existe des vols intérieurs entre la zone de conflit et la région d’origine. La CNDA a ainsi décidé que le seul transit aéroportuaire à Bagdad ne peut être assimilé à une traversée effective de la capitale irakienne exposant le requérant à un risque réel d’atteinte grave contre sa vie ou sa personne (CNDA 24 janv. 2018, n° 17042467).  Et de ce fait qu’il n’est pas fondé à se prévaloir du bénéfice de la protection subsidiaire au titre de l’article L. 712-1 c) du CESEDA.

 

[1]La notion de « violence généralisée » initialement prévue à l’article L. 712-1, c) du Ceseda a été remplacée par la Loi du 29 juillet 2015 par celle de « violence qui peut s'étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle ».

Statut de la décision : Cassation