Décision CNDA n°12018368

Mots clés :
Militaire, choix entre statut de réfugié et Ps, violence modérée dans la province de Laghmân

Analyse de la décision

Faits et procédure :

 

Un afghan, originaire du village de Myakhel à Qarghahi dans la province de Laghmân évoque à l’appui de sa demande craindre pour sa sécurité en raison de son engagement dans l’armée afghane.

 

Après le rejet de sa demande de protection par l'Ofpra, le requérant forme un recours devant la CNDA qui examine sa requête dans la présente décision.

 

Question(s) juridique(s) soulevée(s) :

A quelle protection est éligible le requérant afghan qui a exercé au sein de l'armée nationale afghane ?

 

Le niveau de violence de la province de Laghmân est-il d'une intensité telle que la seule présence du requérant sur le territoire constitue un risque pour sa vie ? Ou bien le requérant doit-il prouver l'existence d'une menace grave, direct et individuelle contre sa personne sur le territoire ?

 

Solution :

 

Le juge refuse l’octroi du statut de réfugié au requérant.

 

Il estime en effet que :

- « la seule appartenance à une institution telle que l’armée, la police, les services secrets ou la magistrature, qui est créée par l’État, ne peut être assimilée à l’appartenance à un groupe social » au sens de la Convention de Genève ;

- l’engagement au sein d’une institution étatique ne peut être regardé comme une opinion politique au sens de la convention de Genève, « que lorsque celle-ci subordonne l’accès des personnes à un emploi en son sein, à une adhésion à de telles opinions, ou agit sur leur seul fondement, ou combat exclusivement tous ceux qui s’y opposent ».

 

Le juge conclu donc que les militaires afghans ne peuvent être considérés comme appartenant à un groupe social ou ayant des opinions politiques, du seul fait de leur engament dans l’armée.

 

Le juge examine ensuite la situation à l’égard de la protection subsidiaire et, faute d’allégations détaillées du requérant sur les exactions subies en Afghanistan, lui refuse l’octroi de la PS relative aux craintes de torture ou de traitements inhumains ou dégradants au sens de l'article L.712-1 b) du CESEDA.

 

Enfin, examinant la situation sécuritaire dans la région d’origine du requérant le juge considère, au regard de « plusieurs sources documentaires publiques et concordantes », que la région d'origine du requérant n’est pas en proie à une violence de haute intensité mais seulement une violence d’intensité modérée (selon le rapport de l’Afghan NGO Safety Office, « Quartely Data Report Q.3 2012 » publié en septembre 2012 / communiqué du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, daté du 30 août 2012, qui fait état de ce que 80 000 Afghans réfugiés dans les pays limitrophes sont rentrés sur le territoire afghan dans les huit premiers mois de 2012)

 

Le requérant ne peut donc pas bénéficier de la protection subsidiaire en raison d'un niveau de violence de haute intensité dans sa région, qui entrainerait des craintes du fait de sa seule présence sur place. Et, n'ayant selon le juge, apporté aucun élément permettant d’individualiser ses craintes dans le conflit armé générant une violence de basse intensité, le requérant ne peut bénéficier de la protection subsidiaire au sens de l'article L712-1 c) du CESEDA.

 

Le recours est alors rejeté.

 

Portée :

 

Sur l’éviction de la protection conventionnelle :

 

Dans la présente décision, le requérant étant un ancien militaire, le juge doit déterminer si cette spécificité peut être considérée comme un groupe social ou une opinion politique susceptible de menacer sa vie, au sens de l'article 1A2 de la Convention de Genève.

 

Il ressort de l'instruction que le requérant ne peut se prévaloir d'aucun de ces deux motifs de persécution, au regard des définitions du groupe social et des opinions politiques définies par la convention précitée.

 

A la date de la décision, l'opinion politique imputée était écartée d'office pour les militaires depuis la décision du Conseil d'Etat du 14 juin 2012, n°323669. La jurisprudence a toutefois revu cette position, considérant qu'agissant au nom de l'Etat les dépositaires de l'autorité peuvent représenter des cibles privilégiées dans certains contextes violent comme c'est le cas en Afghanistan (CNDA, 8 janvier 2019, n°17049487).

 

Sur la qualité de civil :

 

Concernant la protection subsidiaire, un membre des forces armées peut éventuellement se prévaloir de la Ps-a et de la Ps-b, mais en aucun cas de la Ps-c qui est strictement réservée aux civils puisque l'exposition à la violence en raison d'un conflit armé est une caractéristique du métier de militaire, qui ne peut donc pas se prévaloir d'une protection pour les risques encourus par l'exercice de son travail.

 

Néanmoins, dans le cas d’espèce, le contrat de l’intéressé avec l’armée afghane avait pris fin avant son départ du pays, et le juge estime la Ps-c pourrait lui être applicable. Il est ainsi considéré comme ayant recouvré sa qualité de civil.

 

Cette position, exigeant la fin officielle de l’engagement militaire ou policier, a été affichée encore plus fermement dans des décisions du Conseil d'Etat de décembre 2019 où le juge appuie sur le fait que la démission doit être officielle et ne peut se déduire du seul départ du pays (CE, 11 décembre 2019, n°424219/ CE, 11 décembre 2019, 427714).

 

Sur le niveau de violence à Laghman :

Dans la présente décision, le juge qualifie la violence généralisée d'intensité modérée, entrainant alors la nécessaire individualisation des craintes pour entrainer l’octroi de la protection subsidiaire. En effet, selon les décisions de principes de la  CJUE, 17 février 2009, aff. n°C-465/07, Epoux Elgafaji et du CE, 3 juillet 2009, n°320295, Baskarathas, les craintes doivent être individualisées de façon inversement proportionnelle au niveau de violence.

 

Le juge ne retient ici aucune individualisation suffisante des craintes pour permettre l'octroi de la protection au requérant, bien que certains éléments pourtant non négligeables ne soient pas relevés, comme l'ancienne qualité de militaire du requérant pouvant alors être la cible de vengeance de la part des Talibans ; ainsi que l'âge du requérant, pouvant justifier d'une crainte d'enrôlement forcé, élément ayant justifié une protection dans la décision de la CNDA du 21 mars 2013, n°12025577.

 

Par ailleurs, le juge justifie la qualification de la région comme en situation de violence généralisée d'intensité modérée résultant d'un conflit interne par « plusieurs sources documentaires publiques et concordantes », sans plus de détails quant à ces sources, limitant ainsi la solidité de sa décision.

 

Enfin, depuis cette décision, la jurisprudence sur la violence du conflit en Afghanistan a évolué, tendant à l’octroi d’une protection à une très large part des Afghans demandeurs d’asile en France. En effet, un jurisprudence a émergé, confirmée par le Conseil d’Etat (CE, 16 oct. 2017, n° 401585)  selon laquelle tous les civils afghans même s’ils viennent d’une zone moins frappée par les violences du conflit, sont en droit de bénéficier de la protection subsidiaire puisqu'ils sont contraints, en cas de retour dans leur pays depuis la France, de traverser Kaboul qui fait l'objet d'un niveau de violence aveugle de haute intensité (par la suite dénommée « intensité exceptionnelle) pour regagner les autres régions afghanes.

Statut de la décision : Rejet