Décision CNDA n°11028736

Mots clés :
Mogadiscio / Violence généralisée résultant d’une situation de conflit armé / Degré d’intensité de la violence suffisant à établir une menace grave au sens de l’article L. 712-1 c) du CESEDA / Octroi de la protection subsidiaire / Risques de traitements inhumains ou dégradants (article 3 CEDH)

Analyse de la décision

Faits et procédure :

A l’appui de sa demande de protection, un ressortissant somalien fait état de ses craintes de persécutions liées à des violences qu’il aurait subi de la part de l’organisation terroriste Al Shabaab perpétrées en raison de sa profession dans le domaine de la culture.

 

L’OPFRA a rejeté sa demande de protection et l’intéressé a formulé un recours auprès de la CNDA, laquelle se prononce sur ce recours dans la présente décision.

 

Question(s) juridique(s) soulevée(s) :

La situation sécuritaire prévalant à Modagiscio présente-t-elle un degré de violence généralisée si élevé qu’il justifie l’octroi de la protection subsidiaire à tout ressortissant somalien résidant à Mogadiscio qui en fait la demande ?

 

Solution :

Le juge se prononce en faveur du recours de M. M. J. et lui accorde la protection subsidiaire en application de l’article 712-1 c) du CESEDA.

En effet, le juge écarte d’abord les craintes particulières et personnelles du requérant au motif du manque de crédibilité des témoignages et du manque de preuves circonstanciées apportées au dossier. De ce fait, il lui refuse le statut de réfugié.

Ensuite, le juge examine la situation sécuritaire prévalant dans la ville d’origine du requérant (Mogadiscio) pour déterminer le degré de violence. En appréciant le degré de violence généralisée comme étant d’intensité élevée, le juge reconnait le droit du requérant à se prévaloir de la protection subsidiaire aux termes de l’article L.712-1 c) du CESEDA.

 

Portée :

A l’appui de sa décision, la Cour invoque un certain nombre de sources précises qui font état de la situation préoccupante prévalant dans la capitale somalienne. Elle justifie notamment sa position par la résolution 1872 (26 mai 2009) du Conseil de Sécurité des Nations Unies et par un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies du 5 mai 2010. Ces deux sources, bien que datées respectivement d’une et deux années, font état d’un « climat de violence généralisée » qui se manifeste par des exactions et massacres perpétrés sur les populations civiles. D’autre part, la Cour utilise également des source plus récentes, à savoir le rapport du secrétaire général des Nations Unies au Conseil de Sécurité daté du 28 avril 2011 et la décision de la CEDH du 28 juin 2011 S. et E. c/ Royaume Uni n°8319/07 et n°11449/07. Dans l’arrêt de la CEDH, on peut lire que « le niveau de violence atteint à Mogadiscio est suffisamment élevé pour exposer quiconque se trouve dans la capitale à un risque réel de traitement contraire à l’article 3 ».

 

L’article évoqué est l’article 3 de la CEDH qui dispose que « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». L’usage qui est ici fait de cet article est intéressant pour plusieurs raisons. En effet, la CEDH applique dans l’arrêt évoqué ci avant l’article 3 de la Convention EDH aux zones de conflits et la CNDA approuve cela puisqu’elle cite cet arrêt dans sa décision. Or, la rédaction de l’article 3 de la CEDH a une rédaction assez proche du b) de l’article L.712-1 du CESEDA, établissant la protection subsidiaire, dite PS-b. Ce qui pourrait entraîner une confusion des genres entre PS-c et PS-b et qui soulève l’interrogation suivante : Est-ce que les deux seraient applicables au civil exposé à un conflit ? Comment s’articuleraient-ils alors ?

Une réponse partielle à ces questions peut être apportée par une décision récente de la CNDA (CNDA 10 janvier 2020, n°18024308-18024309) dans  laquelle le juge applique la PS-b à un civil venant d’une zone de conflit en estimant (sur un conflit de basse intensité où il fallait individualiser les craintes), que, lorsque les éléments d’individualisation sont très précis et réellement propres à la personne plutôt qu’à toute une classe d’individus (comme le seraient par exemple les jeunes hommes, ou les femmes isolées, etc.), c’est la PS-b qui doit être octroyée plutôt que la PS-c.

 

De surcroit, la Cour base sa décision sur le principe du besoin d’individualisation des faits inversement proportionnel au degré de violence aveugle établi par les décisions CJCE, 17 février 2009, Aff. C-465/07, Epoux Elgafaji et CE, 3 juillet 2009, n°320295, Baskarathas. En effet, le cas d’espèce ne donne pas lieu à une individualisation car l’intensité de la violence généralisée à Mogadiscio est suffisamment élevée. Ainsi, Mogadiscio et ses alentours sont considérés à cette date par la CNDA comme étant une zone de violence aveugle élevée, ce qui a pour conséquence l’octroi de la PS-c à tout individu originaire de cette région qui en fait la demande jusqu’à décision contraire. 

 

Enfin, on peut constater que cette décision de la CNDA est une actualisation de sa position qu’elle avait déjà défini dans ses arrêts du 23 décembre 2011, n° 11021811, et du 9 juin 2009, n° 639474,

 

Pour aller plus loin :

Dalloz étudiant : Le renvoi d’un demandeur d’asile dans son pays d’origine est susceptible, compte tenu de la situation politique du pays comme de sa situation personnelle, de l’exposer à un risque réel de traitements inhumains ou dégradants proscrits par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme :

https://actu.dalloz-etudiant.fr/a-la-une/article/demande-dasile-le-refus-francais-condamne-pour-le-risque-de-torture-encouru/h/2e350de94a2adbcd1ce065c61fae11a3.html

Statut de la décision : Octroi de la protection subsidiaire