Décision CNDA n°15018700

Mots clés :
violence aveugle de haute intensité à Bagdad, PS-c

Analyse de la décision

Faits et procédure :

  • La requérante de nationalité irakienne demande la reconnaissance de la qualité de réfugiée ou à défaut le bénéfice de la protection subsidiaire auprès de l’OFPRA, aux motifs qu’issue de la tribu des Bani Assad et de confession chiite de Bassorah, elle craint d’être victime de menaces graves de la part de sa famille et de sa tribu pour s’être soustraite à un mariage forcé avec l’un de ses cousins.
  • Sa demande est rejetée par l’Ofrpa, la requérante forme un recours contre cette décision devant la CNDA.

Question soulevée :

Un demandeur rejoignant une région où il n’y a pas de violence aveugle issue d’un conflit armé mais traversant, même temporairement, une zone en proie à de telles violences répondant aux critères de la protection subsidiaire, peut-il prétendre au bénéfice de cette protection ?

En avril 2016, existe-t-il, pour un Irakien originaire de Bassorah, un risque réel de subir une menace grave et individuelle au sens du c) de l’article L. 712-1 du CESEDA  en cas de retour en Irak ?

Solution :

La cour rejette la demande d’octroi du statut de réfugié aux motifs que la requérante a, à cette égard, présenté ses craintes en des termes particulièrement vagues.

En revanche, la Cour estime que pour rejoindre Bassorah, sa région d’origine, la requérante est tenue de traverser la région de Bagdad, exposée à une situation de violence aveugle de haute intensité résultant d’un conflit armé interne. Il existe alors pour cette dernière un risque réel de subir une menace grave et individuelle au sens du c) de l’article L. 712-1 du CESEDA en cas de retour en Irak via sa capitale. La Cour lui accorde ainsi la protection subsidiaire.

Portée :

Le bénéfice de la protection subsidiaire, sur le fondement de l’article L. 712-1 c) du CESEDA découle, de « l’existence, dans la région que l’intéressé a vocation à rejoindre, d’un degré de violence aveugle résultant d’un conflit armé tel qu’il existe des motifs sérieux et avérés de penser qu’un civil renvoyé dans cette région courrait, du seul fait de sa présence sur ce territoire, un risque réel de subir une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne ».

Et, l’évaluation du niveau de violence se fait toujours au niveau local et non pas à l’échelle du pays entier : soit au sein de la région dans laquelle le demandeur a le centre de ses intérêts (en l’espèce la province de Bassorah) ou, à défaut, dans les zones qu'il serait contraint de traverser en cas de renvoi dans son pays, pour rejoindre sa région d'origine (en l’espèce, la région de Bagdad) (CNDA, 28 mars 2013, n° 12017575).

Dans le cas d’espèce, la CNDA n’examine pas le niveau de violence à Bassorah, mais se contente d’évaluer celui atteignant Bagdad, point de passage obligatoire de la requérante en cas de retour dans sa région d’origine.

Elle relève alors de nombreuses sources documentaires, issues d’organismes des Nations Unies et de gouvernements européens : la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies n°2233 du 29 juillet 2015 ; la carte de l’Institute for the Study of War du 25 novembre 2015 sur le contrôle du territoire ; le rapport de la Mission d’assistance des Nations Unies en Irak (UNAMI), du 1er janvier 2016 ; le rapport du service de l’immigration finlandais intitulé « Security Situation In Baghdad » du 29 avril 2015 ; le rapport du ministère de l’intérieur britannique intitulé « Country Information and Guidance - Iraq: Security situation in Baghdad, southern governorates and the Kurdistan Region of Iraq (KRI) » publié en avril 2015 ; le rapport de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) d’août 2015.

La Cour retient parmi ces rapports, essentiellement des constatations très générales sur l’aggravation de la situation et sur le type de violences et d’exactions commises contre les civils. Les seules données chiffrées reprises concernent le nombre de « victimes civiles » (22370) entre le 1er janvier et le 31 décembre 2015 (sans que soit précisé si les victimes recensées incluent les blessés ou ne décomptent que les décès).

Par ailleurs, il convient de noter que la Cour prend en compte, pour l’évaluation du degré de violence, le nombre de déplacés internes qui s’installent dans la zone évaluée. En l’espèce, elle relève « que le gouvernorat de Bagdad demeure une destination importante pour les déplacés internes, avec plus de 538 000 personnes réinstallées dans la capitale ». Pour autant, elle estime que cette circonstance n’est pas de nature à remettre en cause la qualification de violence aveugle de haute intensité dans la région.

Il convient de relever que par la suite, cette jurisprudence a été nuancée dès lors qu’il existait d’autres points d’entrée dans la région d’origine que la zone de violence. C’est le cas quand la zone d’origine est directement accessible par un vol international (CNDA, 15 avril 2016 , n° 15033384 ), mais aussi lorsqu’il existe des vols intérieurs entre la zone de conflit et la région d’origine. La CNDA a ainsi décidé en 2018 que le seul transit aéroportuaire à Bagdad ne pouvait être assimilé à une traversée effective de la capitale irakienne exposant le requérant à un risque réel d’atteinte grave contre sa vie ou sa personne (CNDA 24 janv. 2018, n° 17042467). Et, si sa région d’origine n’est pas exposée à une violence aveugle en raison du conflit, le requérant n’est dans ce cas pas fondé à se prévaloir du bénéfice de la protection subsidiaire au titre de l’article L. 712-1 c) du CESEDA.

 

Statut de la décision : Rejet