Décision CNDA n°15030837

Mots clés :
PS-c ; violence aveugle de basse intensité à Bangui (Centrafrique) ; individualisation de la crainte

Analyse de la décision

Faits et procédure :

 

A l’appui de sa demande de protection, une ressortissante centrafricaine soutient qu’elle craint d’être exposée à des persécutions du fait des autorités centrafricaines en cas de retour dans son pays d’origine en raison des liens de son père avec un haut cadre de l’ancien régime, et d’être exposée à une atteinte grave en raison de la situation de violence généralisée prévalant dans ce pays.

 

L’Ofpra a rejeté sa demande par une décision du 28 juillet 2015. La CNDA se prononce alors sur le recours formé contre cette décision de rejet.

 

Question(s) juridique(s) soulevée(s) :

 

Le degré de violence aveugle en Centrafrique, et plus précisément à Bangui, atteint-il au mois de septembre 2017, un niveau si élevé qu’il justifierait l’octroi de la protection subsidiaires au sens de l’article L712-1 c) sans la preuve que le requérant serait individuellement et directement atteint par cette violence ?

Le cas échéant, si le niveau de violence est jugé faible, quels éléments permettent de considérer que le requérant serait à titre individuel, directement exposé à cette violence en cas de retour dans sa région d’origine ? La protection subsidiaire peut-elle lui être octroyée ?

 

 

Solution :

 

Après avoir estimé, faute d’éléments tangibles, que la requérante n’était pas fondée à se prévaloir de la qualité de réfugié, la CNDA précise que le bien-fondé de ses craintes doit également être apprécié au regard du contexte sécuritaire qui prévaut dans sa région d’origine.

 

Ainsi, elle rappelle classiquement que lorsque le degré de violence aveugle caractérisant un conflit armé atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’un civil renvoyé dans le pays ou la région concernés courrait du seul fait de sa présence sur le territoire un risque réel, alors le requérant n’est pas obligé de prouver l’existence d’une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne. Dès lors le bien-fondé de la demande de protection de la requérante doit être également apprécié au regard de la situation sécuritaire prévalant en République centrafricaine.

 

La CNDA estime que la situation en Centrafrique peut être qualifiée de conflit armé interne. Toutefois, la violence qui prévaut actuellement à Bangui doit être regardée comme une situation de violence aveugle de basse intensité.

Pourtant la CNDA décide qu’eu égard à sa situation personnelle, la requérante est particulièrement vulnérable et qu’elle peut être exposée, en cas de retour à Bangui, à une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne, en raison d’une violence aveugle résultant d’une situation de conflit armé interne. La protection subsidiaire lui est donc octroyée au sens de l’article L 712-1 c) du CESEDA.

 

 

Portée :

 

Concernant le lieu des violences évaluées :

 

La cour relève en l’espèce, une dégradation des conditions de sécurité à l’échelle générale de la Centrafrique mais une nette diminution de la violence à Bangui.

Or, il est classique dans la jurisprudence de la CNDA, d’évaluer le niveau de violence au niveau local : la violence généralisée s'apprécie non pas au niveau du pays d'origine dans son ensemble mais, de manière plus locale, au sein de la région dans laquelle le demandeur a le centre de ses intérêts ou dans les zones qu'il serait contraint de traverser en cas de renvoi dans son pays, pour rejoindre sa région d'origine (CNDA, 28 mars 2013, n° 12017575).

 

Concernant la détermination du niveau de violence :

 

Pour déterminer ce niveau de violence à Bangui, la Cour a apprécié, au regard de la jurisprudence et des critères statistiques issus des lignes directrices du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), plusieurs éléments d’information géopolitique publics et procède à une évaluation de l'évolution de la situation sur place au cours des dernières années.

Elle note à cet égard, à partir des rapports pluriannuels du Secrétaire général des Nations Unies sur la situation en République centrafricaine et du Rapport du projet Mapping documentant les violations graves du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises sur le territoire de la République centrafricaine de janvier 2003 à décembre 2015, publié en mai 2017, que le nombre de victimes civiles est passé de 1950 en 2013 (date à laquelle plusieurs centaines de milliers de personnes ont également fui la capitale), à une soixantaine sur les six mois précédant février 2017.

 

Concernant le critère d’individualisation des craintes :

 

La Cour juge en l’espèce que des « éléments propres à [la] situation personnelle » de la requérante justifiaient l’existence de menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne, dans un contexte de violence aveugle de basse intensité. Ainsi, même si l’intensité de la violence aveugle résultant du conflit armé interne n’était pas haute dans sa région d’origine, le fait qu’elle court une menace grave et individuelle contre sa vie résultant de cette violence permet de lui accorder le bénéfice de la Ps-c). 

 

Parmi les « éléments propres » à la requérante, la Cour relève qu'elle a : « depuis son départ de Centrafrique perdu tout contact avec l’ensemble des membres de sa famille » et « doit être regardée comme particulièrement vulnérable en cas de retour à Bangui, où les jeunes femmes isolées sont la cible d’exactions sexuelles de la part des groupes armés, comme en atteste le rapport du Département d’Etat nord-américain sur les droits de l’homme en République centrafricaine pour l’année 2016 ».

 

La Cour suit ici un raisonnement fixé depuis plusieurs années, selon lequel le degré d'individualisation des craintes exigé est proportionnel au niveau de violence dans la zone dont le demandeur est originaire.

 

En effet, de longue date, la doctrine s’est interrogée sur la possible résilience du critère de l’individualisation dans le contexte de violence généralisée (ou « violence aveugle » selon les rédactions plus récentes). En effet l’article L712-1 c) du CESEDA dispose, dans sa dernière version, que le bénéfice de la protection subsidiaire peut être accordée à un civil qui court un risque réel de subir : « une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence qui peut s'étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d'une situation de conflit armé interne ou international »[1].

 

La CNDA effectuait, avant 2009, une lecture littérale de l’article L712-1 c) et les individus devaient prouver l’existence d’une crainte individuelle. Par exemple dans l’arrêt CNDA, SR, 27 juin 2008, B*, nº 581505, la CNDA avait retenu certes l’existence d’une violence aveugle liée à un conflit armé, mais aussi le fait que le requérant, Tamoul du Sri Lanka, était personnellement menacé du fait qu’il avait été contraint d’apporter son soutien aux Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul (LTTE). Ainsi, le contexte de violence aveugle ne remettait pas en cause l’exigence d’une personnalisation des menaces.

 

Mais la jurisprudence opéra un revirement toujours applicable aujourd’hui et impulsé par un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne en 2009 (CJCE, 17 févr. 2009, Aff. C-465/07, Elgafaji). Dans ce dernier, la CJUE considère que « le terme « individuelles » doit être compris comme couvrant des atteintes dirigées contre des civils sans considération de leur identité, lorsque le degré de violence aveugle caractérisant le conflit armé en cours […] atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir les menaces graves visées par l’article 15, sous c), de la directive ». Soit, l'exigence du critère d'individualisation est proportionnelle au niveau de violence généralisée. Ainsi lorsque la violence généralisée est de faible intensité, le critère d’individualisation doit être étayé afin d’octroyer la protection subsidiaire.

 

La CNDA a alors repris ce raisonnement en précisant que « lorsque la violence bien que préoccupante, n'apparaît pas aussi grave et indiscriminée, il appartient au demandeur d'établir qu'il serait, à titre individuel, directement exposé à ladite violence dans le contexte prévalant dans sa région d'origine » (CNDA, 2 sept. 2015, n° 15005004). Ainsi lorsqu’on observe la jurisprudence de la CNDA, la menace individuelle a pu être établie, du seul fait de la présence de la personne, en raison d'une situation de violence aveugle de haute intensité (pour exemple : CNDA, 2 sept. 2015, n° 1500500 ; CNDA, 5 oct. 2015, n° 14033523). Mais aussi, en vertu de la proportionnalité du critère d’individualisation au degré de violence généralisée, les craintes ont parfois dû être davantage individualisées lorsque la violence généralisée était d’intensité plus basse (pour exemple : CNDA, 24 janv. 2013, n°12018268 ; CNDA, 15 juill. 2013, n°13000622).

 

[1] Une version antérieure, en vigueur de 2005 à 2015 faisait état, « s''agissant d'un civil, une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence généralisée résultant d'une situation de conflit armé interne ou international. »

Statut de la décision : Octroi de la protection subsidiaire