Décision CNDA n°16038980

Mots clés :
PS-c ; craintes devant être apprécié au regard du contexte sécuritaire qui prévaut dans la région d’origine du requérant ; violence aveugle de haute intensité à Juba (Soudan du Sud) ; points d'entrée au Sud Soudan

Analyse de la décision

Faits et procédure :

 

A l’appui de sa demande de protection un ressortissant sud-soudanais soutient qu’il craint d’être exposé à des persécutions ou à une atteinte grave en cas de retour dans son pays d’origine pour deux motifs : d'une part, l’ancienne carrière militaire de son père pour l’armée du Soudan qui lui font craindre de retourner au Soudan du Sud ; et d’autre part des opinions politiques qui lui sont imputées par les autorités soudanaises en raison de son origine sud soudanaise qui lui font craindre de retourner au Soudan.

 

L’Ofpra a rejeté sa demande dans une décision du 9 novembre 2016. La CNDA se prononce alors sur le recours formé contre cette décision de rejet.

 

Question(s) juridique(s) soulevée(s) :

 

Le degré de violence aveugle au Soudan du Sud, et plus précisément à Juba, atteint-il un niveau si élevé qu’il justifierait l’octroi de la protection subsidiaires au sens de l’article L712-1 c) sans la preuve que le requérant serait individuellement et directement atteint par cette violence ?

 

Solution :

 

Tout d’abord, la CNDA décide que le requérant n’est pas fondé à se prévaloir de la qualité de réfugié. En effet, ses déclarations peu étayées et parfois contradictoires, n’ont pas permis de tenir pour établies ses craintes de persécutions en raison de son origine soudanaise et de la carrière militaire de son père.

 

Toutefois, la CNDA précise que le bien-fondé de ses craintes doit également être apprécié au regard du contexte sécuritaire qui prévaut dans sa région d’origine. Ainsi, elle rappelle classiquement que lorsque le degré de violence aveugle caractérisant un conflit armé atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’un civil renvoyé dans le pays ou la région concernés courrait du seul fait de sa présence sur le territoire un risque réel, alors le requérant n’est pas obligé de prouver l’existence d’une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne.

Mais que lorsque la situation de violence n’apparaît pas aussi grave, il lui appartient de démontrer qu’il serait, à titre individuel, directement exposé à ladite violence dans le contexte prévalant dans sa région d’origine.

La CNDA établit que la violence qui prévaut actuellement au Soudan du Sud, et notamment à Juba, seul point d’entrée sur le territoire sud soudanais depuis la France, doit être regardée comme une situation de violence aveugle de haute intensité résultant d’une situation de conflit armé interne.

En effet la situation alarmante en matière de sécurité ne s’est pas améliorée au cours de la période considérée et presque toutes les régions du pays étant touchées par le conflit.

La protection subsidiaire au sens de l’article L712-1 c) du CESEDA est donc octroyée au requérant.

 

Portée :

 

Concernant la détermination du niveau de violence :

 

Pour déterminer ce niveau de violence à Juba, la Cour a tout d’abord constaté qu’il s’agissait d’un conflit armé interne (au regard de la résolution 2109 du Conseil de sécurité des Nations Unies du 11 juillet 2013) puis a qualifié la situation sécuritaire et humanitaire d’alarmante avec des résolutions plus récentes : la résolution 2327 du Conseil de sécurité des Nations Unies du 16 décembre 2016 et la résolution du Conseil des droits de l’homme des Nations unies du 14 décembre 2016.

 

Elle relève également qu’il y a une aggravation de cette crise sécuritaire et humanitaire. Elle se fonde notamment sur des faits assez récents par rapport à la date de la décision : des combats qui ont eu lieu à Juba du 8 au 11 juillet 2016 et des affrontements qui ont eu lieu sur le site de protection des civils des Nations Unies situé à Malakal, les 17 et 18 février 2016. De plus, la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS) a relevé, entre le 2 juin 2017 et le 1er septembre 2017, 110 cas de civils assassinés et 45 civils blessés en indiquant que le nombre de victimes réel est sans doute bien plus élevé.

 

Au surplus, elle cite le rapport du Secrétaire général sur le Soudan du Sud, concernant la période allant du 2 juin 2017 au 1er septembre 2017 qui indique que la situation en matière de sécurité ne s’est pas améliorée au cours de cette période et que presque toutes les régions du pays sont touchées par le conflit. Ce rapport fait état de la crise des réfugiés du Soudan du Sud et de la situation fragile concernant les droits de l’homme. La Cour cite également la publication de Human Rights Watch du 1er aout 2017 qui dénonce les violations récurrentes des droits de l’homme dans ce pays.

 

Ainsi, les sources retenues sont temporellement proches de la date à laquelle le juge c'est prononcé mais peu diversifiées dès lors qu'elles émanent pour l'essentiel, des Nations Unies (Conseil de sécurité, Conseil des droits de l'homme, MINUSS, Secrétaire général).

 

Cette décision est par ailleurs à rapprocher de la jurisprudence « Kaboul » établie le 16 octobre 2017 par le Conseil d’Etat (CE 16 octobre 2017 Ofpra c. M. S. n° 401585 B).  En effet, le Conseil d’Etat considérait que Kaboul, zone de violence aveugle d’intensité exceptionnelle, était le seul point d’entrée depuis la France pour l’Afghanistan et cela a permis d’accorder de manière quasi-automatique la protection subsidiaire aux demandeurs qui sont reconnus comme civils afghans, quelle que soit la province dont ils sont originaires. En l’espèce, la CNDA e que « Juba, seul point d’entrée sur le territoire sud soudanais depuis la France » de la même manière que le CE en 2017.

 

Ainsi lorsqu’il y a un seul point d'entrée, et que ce point d'entrée est dans une situation de violence d'intensité exceptionnelle, tous les civils originaires du pays sont éligibles à une protection. Mais si le point d'entrée n'est pas dans une situation de violence, il faut examiner le niveau de violence

entre ce point et la destination finale du demandeur.

 

Concernant la qualification de civil :

La CNDA précise ici que le requérant doit être vu comme un civil. En effet, l'article L. 712-1, c) du CESEDA ne concerne que les « civils ». Il s’agit donc de distinguer les victimes civiles de celles qui ne le sont pas. Cela peut être assez simple en cas de conflit armé international mais très délicat dans un conflit interne comme en l’espèce au Soudan du Sud, puisque les parties au conflit ne sont généralement pas des membres d'armées régulières.

 

Ici la Cour a considéré sans difficulté que le requérant était un « civil » mais dans la jurisprudence, la question s’est déjà posée de savoir s'il convient de ne considérer comme civils uniquement les personnes qui ne participent pas effectivement au conflit. A cet égard, la CNDA a notamment jugé que la simple possession d'une arme à des fins défensives ne retire pas la qualité de civil au demandeur (CNDA, 9 févr. 2017, n° 160057).

Statut de la décision : Octroi de la protection subsidiaire